Le recours à des travailleurs indépendants a permis de soustraire des pans entiers de l’économie à l’application du droit du travail. De nombreux coursiers, personnels d’entretien et secrétaires exercent désormais sous le statut d’indépendant.
Dans une décision du 4 mars dernier, la Cour de cassation tente d’endiguer ce mouvement d’ « uberisation » de la société.
L’enjeu : l’application du droit du travail aux chauffeurs travaillant en indépendant via l’application UBER
Très attendue, cette décision fait suite à la saisine du conseil de prud’hommes de Paris par un ancien chauffeur de la plateforme UBER. Ce dernier avait vu son compte désactivé en avril 2017 et sollicitait l’application du droit du travail à la relation qu’il entretenait avec ladite plate-forme.
Si en pratique les chauffeurs VTC concluent avec UBER et ses sociétés concurrentes des conventions de partenariats soumises au droit commercial, ils ne jouissent cependant pas du statut de salarié.
Par conséquent, ils ne peuvent bénéficier de la protection offerte par le droit du travail et en particulier de la législation sur le SMIC, le chômage, le repos hebdomadaire ou les congés payés. Non soumis au repos hebdomadaire, ils sont alors contraints de travailler des heures titanesques pour faire face à leurs charges, lesquelles ne cessent d’augmenter. En effet, en plus de s’acquitter de leurs cotisations sociales, ils doivent aussi financer eux-mêmes véhicule et carburant.
Autre conséquence : de par sa nature commerciale, le contrat de partenariat peut être rompu unilatéralement par UBER sans possibilité d’en contester la validité devant les prud’hommes.
C’est pourquoi, dans un premier temps le CPH s’est déclaré incompétent dans cette affaire.
Néanmoins, en deuxième instance, la cour d’appel de Paris a considéré qu’en raison du caractère fictif du statut de travailleur indépendant du chauffeur VTC, le droit du travail devait être appliqué à sa situation. En effet, elle retient que ces travailleurs exercent leur activité sous la subordination de la société Uber et partant, doivent être traités comme de véritables salariés.
Saisie par les sociétés Uber France et Uber BV, la chambre sociale de la Cour de cassation accueille favorablement, le 4 mars dernier, la décision des juges du fond.
A cet égard, elle confirme le raisonnement de la cour d’appel, ayant relevé que le chauffeur est intégré dans un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber dans lequel ce dernier « ne constitue ainsi aucune clientèle propre ». Il n’est donc pas libre de fixer ses tarifs et de choisir librement ses clients ; Uber se réservant le droit de procéder à des déconnexions temporaires à partir de trois refus de courses.
Or, comme rappelé par la jurisprudence « Take Eat Easy » rendue par la Cour de cassation le 28 novembre 2018, la personne qui exerce son activité sous les ordres et directives d’un employeur capable d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements, est en réalité un salarié.
Les conséquences pratiques de la décision du 4 Mars pour les chauffeurs « VTC »
Le raisonnement de la Cour de cassation n’étant non pas bâti sur la situation individuelle du requérant mais sur les conditions d’exécution de la prestation de transport, lesquelles sont communes à l’ensemble des chauffeurs, il est transposable à la situation de l’ensemble des chauffeurs VTC utilisant UBER.
L’application du droit du travail permettant de former des demandes indemnitaires conséquentes, de nombreux chauffeurs pourraient être tentés de saisir les prud’hommes de demandes d’indemnisation conséquentes (plus de 120.000 euros au cas d’espèce).
Cela vient remettre en cause le modèle économique de UBER qui fonctionne sur l’exploitation d’une main d’œuvre quasiment gratuite.
Pour les nombreux chauffeurs qui souhaitent tout de même rester indépendants, la portée de cet arrêt demeure conséquente. En effet, si UBER souhaite, pour l’avenir, échapper à des requalifications en masse, il devra revoir les conditions de sa convention de partenariat pour accorder une plus grande autonomie à ses chauffeurs.
Deux perspectives s’ouvrent alors.
D’une part, le retour à l’application du droit du travail pour tous les travailleurs.
D’autre part, la reconnaissance d’un statut hybride de « travailleurs indépendants économiquement dépendants », à mi-chemin entre le salariat et l’indépendance véritable, qui permettra de leur attribuer de nouveaux droits.
Il reviendra au législateur de trancher ce débat au risque de créer un monde du travail à plusieurs vitesses.